BLY MANOR – Une conversation sémiotique autour de l’épisode 5 : L’Autel du mort

La série télévisée The Haunting of Bly Manor (2020, Netflix), inspirée du conte fantastique Le Tour d’écrou (1898) de Henry James est une production magnifique du début à la fin, mais le cinquième épisode intitulé Altar of the Dead (L’autel du mort), sous la direction de Liam Gavin (épisodes 4 & 5), offre une myriade de données à être analysées. Et non seulement du point de vue sémiotique, mais du point de vue psychologique (la mémoire et les souvenirs), philosophique et bien sûr, cinématographique. Nous allons nous concentrer sur l’aspect sémiotique de cet énoncé (le 5ième épisode), car dès que Hannah Grose (T’Nia Miller) a commencé à voyager entre divers souvenirs, nous avons pensé à l’image-temps de Deleuze, à la séquence à épisodes de C. Metz et à l’analyse sémiotique d’un film de Lars von Trier (Element of Crime), présentée par Jacques Fontanille dans une conférence que j’avais eu la chance de suivre, aux années 2000.

Commençons par résumer un peu cet épisode mais à nous de prévenir : Cet article contient des révélations sur les caractères, ainsi que l’ensemble de la série. Juste au début de l’épisode, Hannah Grose, incarnée d’une manière impeccable par T’Nia Miller, est assise à côté d’Owen (Rahul Kohli), près du feu. Une bouteille à la main, elle écoute ce que lui dit Owen à propos de la mémoire, concernant la démence de sa mère. « On ne peut pas compter sur le passé », dit-il. « Et on ne peut compter sur le futur non plus ». Et dès qu’Hannah regarde à droite, la scène change : elle fait un saut temporel et spatial, elle n’est plus près du feu dehors, et elle n’est plus en 1987. C’est la première fois qu’elle fait un saut temporel. Au total, il y en aura vingt : 18 grands, 2 petits (numéros 12 et 20 du tableau en dessous).

Des flash-back ou des débrayages ?

Christian Metz, dans le deuxième volume de son livre Essais sur la signification au cinéma, en parlant des théories présentées par Jean Mitry et Jean Leirens, souligne un fait assez curieux : « le spectateur d’un cinéma permanent qui entre dans la salle au milieu d’un retour en arrière, croit que c’est le présent du film qui est en train de se dérouler. L’image du flash-back n’est donc pas subjective par elle-même. » (p. 47). Cette constatation attire davantage notre attention à cause du plan narratif de cet épisode centré sur Hannah Grose, car elle aussi, se trouve le plus souvent dans des positions où elle n’est pas certaine du temps de ces flash-back.

Du point de vue narratologique, Grose assume deux rôles figuratifs :

  • Narrateur (c’est elle qui se souvient de son passé et qui nous le décrit)
  • Protagoniste (elle n’est pas exactement au courant de ce qui se passe)

Dès qu’elle ouvre une porte et se transporte à un temps différent, nous voyons que ces rôles sont interchangeables. Soit elle est la narratrice car elle sait exactement où (et quand) elle se trouve, soit elle assume le rôle de protagoniste car devant ces transportations, elle est aussi surprise que le spectateur.

Et comme nous en avons déjà parlé, nous ne sommes pas sûr s’il faut qualifier de « flash-back » ces transportations, car le caractère fait un zigzag entre les temps et les espaces, donc le présent devient de plus en plus flou et même imperceptible. C’est pourquoi sur le plan sémiotique et narratologique, il va falloir nommer ces sauts temporels en tant que « débrayages ». Dans la terminologie greimassienne, le débrayage se définit comme « l’opération par laquelle l’instance de l’énonciation disjoint et projette hors d’elle, lors de l’acte de langage et en vue de la manifestation, certains termes liés à sa structure de base pour constituer ainsi les éléments fondateurs de l’énoncé-discours. » (Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage).

Le plus important, c’est que la disjonction en question se réalise en se basant sur trois conditions de l’énonciation : « je – ici – maintenant ». Alors il s’agit de « non-je », « non-ici » ou de « non-maintenant ». Le caractère Hannah Grose, avec l’ouverture de chaque porte, avec chaque transportation, assume ces trois conditions (avec quelques exceptions). Donc il s’agit d’un triple débrayage :

  • Débrayage temporel (elle n’est plus dans son présent subjectif)
  • Débrayage spatial (elle n’est plus où elle était)
  • Débrayage actantiel (elle assume le rôle de narrateur, donc elle parle d’elle-même en tant que « non-je »)

Avant d’aller encore plus loin dans notre analyse, présentons ces vingt débrayages qui se réalisent pendant les 54 minutes de l’épisode, sous forme d’un tableau.

Les « nappes de passé » de Gilles Deleuze

Gilles Deleuze, dans son Image-Temps (1985), décrit les transportations temporelles ou les retours en arrière dans une œuvre cinématographique, similaires à ce que nous voyons dans le cinquième épisode de Bly Manor, en tant que « nappes de passé », et Fontanille les nomme comme des « couches de passé stratifiées », ou encore comme « des couches de mémoire ». « Cinéma », cette œuvre de Deleuze en deux volumes (L’Image-Mouvement et L’Image-Temps) ; est basé sur un ouvrage très important d’Henri Bergson, intitulé « Matière et Mémoire » (1896), même les termes « image-mouvement » et « image-temps » y sont empruntés.

Bergson traite de la relation de notre corps avec notre esprit, en donnant une importance majeure aux images, ces données qui sont indispensables pour la formation de notre mémoire. Ce terme de « mémoire » que nous utilisons dans nos conversations quotidiennes peut paraître ordinaire, mais la mémoire est la fondation même de ce que nous sommes en tant qu’être humain : notre personnalité, nos comportements, notre caractère, tout est basé sur ce que nous nous souvenons de notre passé et sur ce que nous avons oublié. Dans Bly Manor, c’est exactement pour cette raison-là que Owen (Rahul Kohli) parle de la démence de sa mère à Mme. Grose : « j’apprends beaucoup de choses sur la vie », dit-il. La démence, l’oubli total est affreux, et en même temps, cause la dépersonnalisation du malade qui en est touché. Owen parle de Thomas Merton (1915-1968) aussi, pour expliquer l’état transcendant d’une personne qui n’est que mémoire, ce qui est en effet l’un des plus belles explications de l’état de Hannah Grose : elle n’est que mémoire, elle n’est que ses souvenirs.

En expliquant les « cristaux de temps » dans L’Image-Temps, Deleuze souligne le fait que les opsignes et les sonsignes peuvent engendrer des images-temps centrés sur la mémoire :

« Nous appelions opsigne (et sonsigne) l’image actuelle coupée de son prolongement moteur : elle composait alors de grands circuits, elle entrait en communication avec ce qui pouvait apparaître comme des images-souvenir, des images-rêve, des images-monde. » (p. 93)

Là, le terme « image-monde » est en effet très important, car elle aide à la formation du terme « image-temps » au sens deleuzien : « Le cinéma ne présente pas seulement des images, il les entoure d’un monde » (ibid., p. 92)

Donc les transportations temporelles de Hannah Grose dans Bly Manor, sont l’équivalent de ces nappes de passé, ces strates de mémoire qui déterminent la personne, le caractère de Mme. Grose : elle n’est que mémoire. Avec la terminologie de Fontanille, Hannah Grose n’est plus un corps-chair comme les vivants, mais « depuis l’incident » (Owen), elle est un corps-enveloppe.

Les « surfaces d’inscription » de Jacques Fontanille

L’ouvrage Soma et Séma (2004) de Fontanille comprend plusieurs exemples d’analyse sémiotique portant sur différents médias. Le chapitre (la conférence, plutôt) qui m’est venu à l’esprit en regardant l’épisode en question de Bly Manor, est intitulé « La Membrane Translucide : Aesthesis koiné et mémoire lumineuse dans Element of Crime (Lars von Trier) ». Dans ce chapitre, Fontanille parle de différentes surfaces utilisées au cours du film de Trier, le plus souvent des surfaces quasi-transparents, catégorisées par le sémioticien en tant que « obstacle réfléchissant », « obstacle absorbant » et « obstacle opaque » (p. 214).

Ces surfaces qui cachent ou montrent partiellement les acteurs de l’énoncé, sont qualifiées de surfaces d’inscription : « La surface d’inscription se donne à saisir comme une couche matérielle, qui connecte dans son épaisseur plusieurs figures qui appartiennent à des moments, des lieux et des plans d’énonciation différents. » (p. 221). Donc pour Bly Manor, nous allons nommer « surfaces d’inscriptions » tous les instruments notés dans notre tableau. Le plus souvent, ce sont des portes (transportations 3, 10, 12, 15 et 16) qui sont des « obstacles opaques » ou le regard à droite (transportations 1, 2, 5, 7, 11, 13 et 17) qui peuvent être nommé comme des « ciné-obstacles » (puisque c’est directement le mouvement de la caméra qui opère le passage) ou des « obstacles du Moi » (c’est Hannah Grose qui regarde vers la droite pour changer de souvenir, autrement dit pour se débrayer, sur le plan sémiotique).

Toujours dans le même chapitre de Soma et Séma, Fontanille parle des « enveloppes cœnesthésiques » (p. 218). Ce terme est très important en analysant le voyage mémoriel de Mme. Grose car c’est exactement ce qu’elle fait dans ces transportations : se rappeler de l’existence de son propre corps à travers ses souvenirs (cœnesthésie : sensation interne de la perception de son propre corps en-dehors de la perception sensorielle). Avec les termes de Fontanille, elle est en fait un « corps-enveloppe », mais elle veut devenir « corps-chair », elle veut « vivre » et aller à Paris avec Owen.

A ce stade, il vaut mieux parler des quatre modalités du Programme Narratif (PN) de Hannah Grose, car celle du /vouloir/ apparaît extrêmement forte. Elle veut vivre de nouveau : « devenir corps-chair » est essentielle pour elle, donc c’est son PN principal. Mais elle a, même sur le plan du subconscient, le /savoir/ qu’elle est morte, qu’elle ne peut rien faire pour devenir vivante encore. Elle est un corps-enveleoppe, voire elle est, peut-on dire, la définition même de la « co-présence des couches de mémoire » (ibid., p. 222).

Mme. Grose assume également la modalité de /devoir/, mais cette modalité dépend plutôt de la mémoire de la Maison de Bly. Car tous les âmes qui ont quitté leur existence corporelle dans les confins du territoire de Bly sont obligées d’y rester, elles ne peuvent franchir même pas la porte du jardin de Bly, ce que nous devons à Viola (épisode 8, incarnée par Kate Siegel). Enfin la modalité de /pouvoir/ se rend assez efficace parmi tous les morts de la maison de Bly, car si la modalité de /vouloir/ est assez forte, si le décédé croit fermement qu’il est en vie, alors il peut effectuer des taches sensori-motrices comme prendre un objet par terre (l’exemple de Peter) ou toucher des vivants (l’exemple de Grose). Avec la force de croyance (/vouloir/), le décédé peut assumer la modalité de /pouvoir/, il peut se montrer, sur le plan sémiotique, comme une figure synesthésique.

Mais comme nous avons déjà dit, toutes ces démarches n’aideront qu’à renforcer l’illusion d’être en vie. Cette incapacité de retour à la vie, pousse Mme. Grose à créer des instances de mémoire dans lesquelles elle peut « respirer » un peu. Disons qu’au lieu de faire un retour à la vie, elle fait des retours en arrière, elle vit dans ces « nappes de passé ». Alors ces transportations forment le PN d’usage de Mme. Grose. Ce qui est encore intéressant, c’est que le PN d’usage comporte simultanément deux objectifs, apparemment contraires : se souvenir et oublier.

Hannah Grose exige sa mémoire pour créer l’illusion d’être en vie, et elle doit oublier le fait qu’elle est morte, que son corps repose inerte, au fond du puits. Avec la terminologie de Fontanille, Mme. Grose veut, sur le plan sémiotique, « réactiver la mémoire morte » en se transportant sans arrêt parmi ses souvenirs, ces « lieux de mémoire » qui lui sont chers. A propos de ces transportations, il faut parler de quelques irrégularités figurant dans notre tableau que nous avons partagé un peu plus haut.

Quelques anomalies de transportation pour Hannah Grose

Le fait que Mme. Grose est « capable » de voyager entre ses souvenirs est déjà assez significatif, mais comme vous avez sûrement remarqué, il manque quelques « x » dans le tableau. Avant d’aborder ces anomalies, soulignons le fait que les intervalles notés au tableau sous la rubrique « Temps » ne sont pas définitifs, ils sont même assez loin d’être exactes ; mais nous avons osé deviner les intervalles entre chaque transportation, en essayant de suivre une certaine pertinence, bien sûr.

Manque de débrayage spatial (#4, #10 et #11)

Ces trois transportations sont marquées par le fait que Mme. Grose ne change pas de place, il s’agit seulement d’un saut temporel. Pour le dixième débrayage nous avons noté « Jardin » (E1) et « Chapelle » (E2) mais ce n’est pas un changement spatial non plus car c’est elle qui marche consciemment quelques mètres pour arriver à la chapelle. Et le débrayage no. 11 ne comporte que le changement de la personne (Charlotte et Rebecca) dans la chapelle, sans oublier le changement temporel supposé.

Le curieux cas du débrayage no. 12

C’est assez hors du commun parmi les 20 débrayages de l’épisode 5 car même le fait qu’il soit un débrayage ou non peut être mis à l’épreuve : c’est plutôt un effet visuel et sonore. D’autre part, il faut approfondir un peu car avec ce point de vue, tout est effet visuel. Mme. Grose est à côté de Rebecca, elles parlent de Peter, mais tout de suite, quand elle ouvre la porte de la chapelle, elle voit que c’est complètement couvert par un mur en pierres. Ce qui est plus intéressant, c’est que ce sont les pierres du puits où demeure son corps inanimé.

Elle poursuivait Miles mais en réalité Miles était hanté par Peter Quint décédé (incarné par Oliver Jackson-Cohen) et Mme. Grose pouvait sentir son existence menaçante, ensuite elle a parlé avec Rebecca qui est elle aussi décédée, et juste après, Grose voit les pierres de son puits. Donc les strates de mémoire, les nappes de passé émergent pour avertir Hannah et elle ne veut pas être avertie, elle ne veut pas se rendre compte du fait qu’elle est déjà morte. Alors elle recommence sa fuite inlassable et à vrai dire, éternelle.

Un débrayage encore plus intéressant : le numéro 15

La quinzième transportation est unique par sa nature actantielle car pour la première et dernière fois, Mme. Grose se promène dans le souvenir de quelqu’un d’autre : Rebecca (Tahirah Sharif). Pour la première fois, elle regarde des événements qu’elle n’avait jamais vus avant. C’est le caractère Rebecca qui révèle le fait que c’est le souvenir de quelqu’un d’autre : « Je ne t’avais jamais vu dans ce souvenir, pourquoi tu es là ? » dit-elle à Mme. Grose.

Ce débrayage projette également une référence à Thomas Merton, le moine et penseur cistercien-trappiste américain dont parlait Owen dans la scène de l’interview, ce qui est, il va sans dire, un autre souvenir de Hannah Grose. Owen (ce qui n’est qu’une des projections de Mme. Grose, bien sûr) parle d’une transcendance spirituelle en référant à Merton et dit : « Une fois que nous avons abandonné la conscience, l’identité, ces choses qui occupent la surface de notre cerveau, nous atteignons un niveau transcendantal, une source inépuisable ». Donc c’est ce que fait peut-être Hannah Grose, sans le savoir : apparemment elle peut désormais pénétrer et quitter n’importe quel souvenir de n’importe qui. Pour cette référence subtile et merveilleuse, un grand merci à Mike Flanagan et son équipe de scénaristes, et encore une fois au réalisateur Liam Gavin.

Le dernier débrayage : tragédie

La vingtième transportation se charge presque toute seule, de la tragédie totale de l’épisode car depuis le début, Hannah Grose visite son propre présent : conversation avec Owen près du feu. Et pour la première fois elle décide de dire « oui » à l’invitation d’Owen : « Oui, je vais aller à Paris avec toi ». Une fois prononcées, ces paroles incitent la victoire sur le visage d’Hannah, elle est heureuse, elle est prête à « vivre ». Mais la loi de Mme. Viola est dure ; une fois morte dans le territoire de Bly, personne ne peut le quitter. Et bien sûr, le mort n’a pas une deuxième chance de vivre. Donc elle va continuer ses voyages éternels pour ne pas s’effacer de sa propre mémoire, pour ne pas s’abandonner à l’oubli comme Mme. Viola. Elle va passer de souvenir en souvenir, tout en continuant son existence éternelle, morbide et patibulaire.

Tu es Hannah Grose.

C’est l’année 1987. Tu es chez Bly.

Miles a 10 ans, Flora 8.

La récurrence du regard à droite

Dans notre tableau de débrayages, pour 7 fois, la transportation se réalise par le regard à droite d’Hannah Grose. Donc ce n’est pas une pure coïncidence. Cela peut être analysé par la croyance aux anges sur chaque épaule : regard vers la droite donc il s’agit de la recherche de salut, de l’ange protecteur de l’épaule droite. Mais aussi, si nous regardons attentivement la position dans laquelle Mme. Grose est morte au fond du puits, nous allons voir qu’elle ne peut pas tourner sa tête (supposons qu’elle va en être capable) vers la droite, car sa joue de droite est directement en contact avec le fond du puits, ses yeux fixés sur la fissure qui se montre plusieurs fois au cours de la série.

Le fait que dans ses rêves et souvenirs, bref dans son existence illusoire elle est capable de tourner la tête où elle veut est un signe d’oubli, ainsi que de forte croyance. Alors quand elle a besoin de respirer un peu, d’oublier son corps-chair, elle tourne la tête vers la droite à la recherche d’une planche de salut : un bon et pacifique souvenir. Ce n’est pas le cas à chaque instant mais l’intention est là.

L’extrait Hamlet et quelques indices révélateurs

Cet épisode, même par son titre, est rempli d’indices qui peuvent révéler la fin, qui peuvent dévoiler le fait qu’Hannah Grose est en effet morte depuis longtemps. Le titre « Altar of the Dead » veut dire « L’Autel du mort » et cette expression peut très bien inciter le spectateur à penser que la Maison de Bly est un autel pour le décédé, ce qui est Hannah Grose. Mais soulignons le fait qu’il faut être extrêmement attentif pour en tirer des conclusions similaires en regardant la série.

Un autre indice nous est donné assez subtilement dans la scène de la chapelle : Charlotte Wingrave, assise dans un banc, à la vue de Mme. Grose, lui dit : « I lit it for you. I hope you don’t mind ». Ce qui veut dire « Je l’ai allumé à ta place. J’espère que ça ne te dérange pas ». Alors l’utilisation de « for you », en anglais, ne veut pas dire « pour toi ». Mais quand-même, le fait que les scénaristes aient écrit de cette manière-là, est assez significatif. Tout comme Charlotte Wingrave qui dit une fois à Hannah Grose : « Tu peux rester à Bly tant que tu veux, même pour toujours » (en utilisant le mot « forever »).

Il y en a encore d’autres indices dans l’épisode mais le plus frappant, c’est un extrait direct de l’œuvre de Shakespeare, le monologue de Hamlet dans l’Acte III, scène 1, récité merveilleusement par Rahul Kohli, l’acteur qui incarne Owen :

  • To die, to sleep;
  • To sleep – perchance to dream,
  • Aye, there’s the rub,
  • For in that sleep of death what dreams may come,
  • When we have shuffled off this mortal coil.

Et la version française (Traduction d’André Gide) :

  • Mourir… dormir,
  • Dormir ! Rêver peut-être !
  • C’est là le hic.
  • Car, échappés des liens charnels,
  • Si, dans ce sommeil du trépas, il nous vient des songes…

Ce qui rend cet extrait encore plus important, ce sont les premières lignes de ce fameux monologue, exclues de l’extrait : « To be or not to be ». Ainsi, Hannah Grose se dit (car Owen aussi c’est Hannah Grose) « être ou ne pas être » d’une manière extrêmement tragique, comme si elle tenait un crâne à la main. Et cet extrait, avec des mots comme « mourir, dormir, rêver » etc., est la représentation parfaite de la situation morbide de Mme. Grose. En plus, il est inséré dans l’épisode de la meilleure façon possible, félicitations encore une fois à Liam Gavin et toute l’équipe des scénaristes.

H. Necmi Öztürk

Bibliographie :
  • BERTRAND, Denis – Précis de sémiotique littéraire, Nathan, 1995
  • DELEUZE, Gilles – L’Image-mouvement, Les Editions de Minuit, 2006
  • DELEUZE, Gilles – L’Image-temps, Les Editions de Minuit, 2006
  • FONTANILLE, Jacques – Sémiotique du visible, PUF, 1995
  • FONTANILLE, Jacques – Soma et Séma, Maisonneuve & Larose, 2004
  • GREIMAS, A.J. & COURTES, J. – Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, 1994
  • METZ, Christian – Essais sur la signification au cinéma, Klincksieck, 2003
  • SHAKESPEARE, W. – The Complete Works, Harcourt, Brace and Company, 1956.
  • SHAKESPEARE, W. – Œuvres complètes, tome 2, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1959.
  • ŞANBAY, Selin Gürses – L’émergence du sujet dans le récit autobiographique : Une étude sémiotique des œuvres autobiographiques de Simone de Beauvoir, 2012

N.B. Je tiens à remercier mes collègues de notre Département de Langue et Littérature Françaises de l’Université d’Istanbul d’avoir accepté de faire avec moi un remue-méninge sur les possibilités de lecture sémiotique de The Haunting of Bly Manor, ainsi que Prof. Nedret Öztokat Kılıçeri, notre professeure qui nous a appris l’observation sémiotique du monde.

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