L’HEURE DE LA SORTIE ou l’inquiétante étrangeté

Je me permets de commencer par une note personnelle : L’heure de la sortie, le deuxième long-métrage de Sébastien Marnier, possédait déjà, par excellence, des raisons pour que je regarde ce film avec des préjugés : Ce pourrait être un film d’enfant, pourrait être un film s’enchevêtrant autour de la vie des adultes en quête d’une seconde chance, ou bien ce pourrait être un film expérimental, jouant avec la forme filmique, et non le contenu. Dans tous les trois cas, j’allais quitter la salle, déçu. 

Eh bien non, il n’a fallu que trente secondes, pour que je sois totalement ébranlé, grâce à l’intro magnifique du film. Et pour cela, je tiens à remercier à Sébastien Marnier qui est en même temps le scénariste du film, et non spécialement à Christophe Dufossé, l’écrivain de l’ouvrage dont le film est « librement » adapté. Du moins, pas cette fois. Parce que sans avoir lu le livre, je sais que l’incipit du roman de 400 pages et l’intro du film sont significativement différents. Et cette différence permet à créer la plus belle des introductions cinématographiques.

Le réalisateur Sébastien Marnier.

Rappelons-la tout de suite : Eric Capadis, professeur de lycée dans ces quarantaines (dans le roman il a 25 ans), se trouve dans la classe avec ses élèves (dans le roman la classe est vide), il regarde les bouts de vie ; le nuque transpiré d’une fille, l’épaule nue d’un garçon, etc. Et puis, regardant directement dans le soleil et ses rayons totalement angoissant dans une saison très chaude, il approche lentement la chaise près de la fenêtre, il y monte et saute par la fenêtre. Comment, avec ce suicide, ne pas se rappeler de l’Etranger de Camus ? 

« La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. (…) Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. » (p.61)

C’est à cause du soleil que Meursault tire sur un homme, et là aussi, dans L’heure de la sortie, le soleil se présente comme une métaphore assez forte. Dans l’Etranger, la métaphore était soit le regard de la société, soit le soleil en tant que source de la vie qui est absurde en elle-même ; et dans notre film, la métaphore se rapproche du deuxième, conformément à ce que pensent les membres de la bande d’élèves sur la vie. 

Christophe Dufossé, récepteur du Prix du Premier Roman 2002, auteur du roman en question occupe sans doute une grande partie dans le succès de ce film et nous sommes impatients de lire son ouvrage du même nom, le plus tôt possible. Deuxièmement il faut certainement féliciter le directeur Sébastien Marnier qui a écrit le scénario et les dialogues du film, et qui a également fait l’adaptation du roman. 

Troisièmement c’est bien sûr le casting qui est formidable, fait par Adélaïde Mauvernay. Les comédiens, jeunes ou adultes, jouent formidablement et c’est une sélection, à mon humble avis, parfaite. Et dernièrement, la musique du film ! C’est un élément essentiel parmi les procédures aidant à créer une atmosphère extrêmement « fantastique » au sens Maupassantien. Dans ce département, c’est Zombie Zombie, le trio formé d’Etienne Jaumet, Cosmic Neman et Dr. Schönberg.

Le fantastique, ce sentiment, selon la définition du linguiste et sémioticien Tzvetan Todorov, qui circule entre « est-ce que j’ai vraiment vu ce que j’ai vu ? » et « ou bien ce n’est que mon imagination ? », est présenté remarquablement dans le film, à plusieurs reprises. Les coups de fil que Pierre (Laurent Laffitte) reçoit, le déséquilibre dans les phases électriques, le vol de son ordinateur, etc. etc. 

Tout est au service de ce sentiment de fantastique, cette hésitation cruelle ondoyant entre le merveilleux et l’étrange, cette « inquiétante étrangeté » avec la terminologie de Todorov, cette sensation de « unheimlich » freudienne qui nous gêne à tout moment et suivant les vers morbides et patibulaires de Baudelaire, c’est ce sentiment qui « occupe nos esprits et travaille nos corps », en même temps que « la sottise, l’erreur, le péché et la lésine ». 

—- ATTENTION ! REVELATIONS SUR LA FIN ! —-

On peut facilement établir une parenté entre L’heure de la sortie et Dead Poets Society (1989), Village of The Damned  (1960) ou bien Fight Club (1999), etc. Ce n’est point un travail de génie. Mais le fait que L’heure de la sortie nous rappelle de ces films, est-ce que cela veut dire vraiment quelque chose ? Je m’explique : Cette parenté nous informe évidemment sur la qualité du film, sur les pistes de réflexion, etc. mais il ne faut pas, bien entendu, oublier le fait que chaque film est une entité à part. Donc si nous voulons proprement apprécier un film, il faut le dérober de ses parents. Je peux seulement noter ici une exception, et cela porte sur le choix délibéré du cinéaste : si le ou la cinéaste a fait une référence, exprès, à un film donné, alors là, oui. On peut parler de cette référence, ainsi que d’une certaine parenté. 

D’après nous, cette exception se trouve à la fin du film, pendant que Pierre rejoint la bande d’élèves regardant les cheminées d’usine. Quand ils regardent tous vers la même direction, les constructions commencent à s’écrouler et au moment où Apolline (Luanà Bajrami) et Pierre se donnent la main, c’est difficile de ne pas penser à la fin emblématique de Fight Club, où le Narrateur se tourne vers Marla Singer, main dans la main, et lui dit :

« Tu m’as rencontré à un moment étrange de mon existence. »,

accompagné de la chanson « Where is My Mind » par The Pixies.  

Cette fin de L’heure de la sortie nous rappelle de la fin du Fight Club, mais ce qui est génial de la part du cinéaste Sébastien Marnier, c’est que la fin de son film parvient magistralement à demeurer toujours aussi originale, aussi bouleversante et tellement spectaculaire. La sensation que ce film a imprégnée sur notre existence a l’air de rester avec nous pour longtemps encore.

H. Necmi Öztürk

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