Sébastien Marnier, réalisateur du film L’Heure de la sortie que nous avons eu la chance de voir dans le cadre du 38ème Festival de Film à Istanbul, a très généreusement accepté de répondre à nos questions par courrier éléctronique. Nous remercions chaleureusement et infiniment à Monsieur Sébastien Marnier pour sa gentillesse, et nous sommes ravis de partager avec vous cet entretien dans son intégralité.
Premièrement, pouvez-vous nous parler un peu de votre relation avec le roman de Christophe Dufossé ? Quand vous l’avez lu et comment / pourquoi l’idée d’en faire un film vous est-elle venue ?
J’ai lu le roman de Christophe Dufossé au moment de sa sortie, en 2002. C’était un grand succès en librairie et plusieurs amis m’en avaient parlé. Dès que j’ai lu le livre, j’ai eu envie d’en faire une adaptation, j’avais des idées de plans, de sons, j’imaginais déjà la musique. Je savais que je pouvais faire un film de genre original, beau et fort. J’ai tout de suite pris les droits du livre et avec Elise Griffon, nous avons commencé à faire la première passe de scénario. Mais assez vite, dès que nous avons fait lire notre adaptation, nous avons compris qu’il serait difficile de produire un premier film aussi étrange dans la production française. Je n’avais fait que trois courts métrages, nous n’avions pas de boite de production… j’ai dû rendre les droits après un an de travail.

Presque 15 ans plus tard, j’ai parlé de ce projet à la productrice avec qui je travaille désormais, Caroline Bonmarchand et avec qui j’avais fait mon premier film Irréprochable (Faultless), nous avons repris les droits du livre et, délibérément, j’ai décidé de ne pas relire le livre. Je voulais en faire une adaptation libre, et travailler à partir de mes souvenirs et de mes sensations, je voulais comprendre pourquoi l’idée d’adapter ce livre ne m’avait jamais quitté.

Le casting est également très impressionnant à notre idée. Est-ce que c’était vous qui avez fait le choix des acteurs ou bien c’était plutôt Adélaïde Mauvernay ?
Nous avons rencontré une centaine de jeunes acteurs avec Adelaïde, ce qui n’est pas excessif, en sachant que nous recherchions 12 rôles. Nous ne nous sommes pas lancés dans un casting sauvage, je voulais des jeunes qui avaient déjà un peu d’expérience. Les rôles étaient compliqués, il y avait beaucoup de composition à inventer. Le groupe des 6 s’est assez vite composé.

Je recherchais des jeunes atypiques, qui ne soient pas du tout dans la séduction. Je voulais en faire des élèves surdoués qui devaient nous faire penser à des zombies ou à des fantômes japonais. Et puis surtout je voulais des jeunes qui soient vraiment dans cet interstice entre l’enfance et l’âge adulte, un moment qui n’est pas encore vraiment sexué. Depuis la fin du tournage ils ont beaucoup changé ! Tous les garçons ont mués et sont quasiment plus grands que moi ! Je suis heureux d’avoir pu filmer ce moment très court et très émouvant de leur vie.

Nous avons trouvé l’atmosphère « inquiétante » de votre film extrêmement réussie, c’est sûrement grâce à la direction des comédiens, la cinématographie et la musique que cette atmosphère est créée. Pourriez-vous nous parler de ce procès ?
Depuis que je suis enfant, j’ai toujours voulu faire des films de genre car j’ai toujours eu envie d’échapper à la réalité, de créer des ambiances, des univers angoissants… j’ai toujours aimé avoir peur au cinéma ! Et quand le genre permet de parler du monde contemporain, quand il pose un regard politique sur son époque, je trouve que c’est vraiment passionnant. Cela permet de toucher un plus grand nombre de spectateurs et de les faire réfléchir différemment, à travers le divertissement (pour ceux qui aiment avoir peur au cinéma !).
Avec mes films, je peux créer une ambiance grâce à une direction artistique globale, cela va de l’architecture aux décors, de la coiffure des personnages, de leurs costumes, de la hauteur de la caméra et bien entendu du travail sonore. Toute la grammaire que j’utilise est là pour donner des émotions aux spectateurs, des sensations, j’aime qu’il ressente viscéralement les choses que traversent mes personnages. Ce n’est pas un cinéma intellectualisé, c’est un cinéma de sensations.

Tout le film épouse le point de vue de Pierre, le héros, et je voulais utiliser les codes du genre pour que le spectateur ressente les mêmes choses que lui, c’est à dire une curiosité, qui se transforme doucement en paranoïa puis en véritable terreur avant un réveil brutal quand il comprend enfin ce que les 6 préparent. J’ai donc décidé de commencer le film d’une manière classique puis de le faire glisser sans que l’on s’en rende compte vers le cinéma d’épouvante, vers le film de zombie, vers le film apocalyptique, en flirtant même parfois avec le fantastique. Je voulais que la mise en scène et la dimension sonore empoisonnent le quotidien.
Vous avez également fait l’adaptation du roman en question, qu’est-ce que vous pouvez nous dire à propos des petits changements que vous avez faits au début du roman ? L’introduction du film est formidable, à notre humble avis.
Comme je le disais plus haut, il y a eu beaucoup de temps entre la lecture du film et la reprise du script ; au final, il ne reste quasiment plus rien du livre original ; subsistent malgré toute la séquence d’ouverture, cette confrontation entre un jeune prof et ses élèves… il reste l’ADN du livre mais plus vraiment de détails.
La référence de Fight Club à la fin de votre film, est-elle vraiment une référence faite exprès ou bien c’était l’enchevêtrement des événements ou tout simplement le roman qui vous a poussé à créer une telle fin ?
Même si je vois très bien de quoi vous voulez parler, bizarrement, ce n’est pas la fin de Fight Club qui m’a le plus influencé. J’avoue que j’étais d’avantage focalisé sur les émotions que la fin de Melancholia de Lars Von Trier m’avait provoqué en salle. Sur ce moment de sidération et d’immense tristesse.

Et puis aussi sur celle de Take Shelter de Jeff Nichols que j’adore vraiment. Mais pour cette référence, nous avons surtout essayé de ne pas refaire la même chose que lui ! D’être dans la référence mais pas dans la copie, car il y avait aussi dans mon film un aspect prophétique.

Vu que votre premier film n’était pas une adaptation, qu’en pensez-vous, en tant que cinéaste, sur les adaptations cinématographiques ? Vous vous sentez obligé de refléter chaque détail du roman ou bien vous êtes toujours à l’aise, pensant que la littérature et le cinéma sont deux mediums complètement différents ?
Le roman doit rester une source d’inspiration, un moteur, mais il ne faut surtout pas chercher à retranscrire de façon littérale, c’est vain ! Le cinéma et la littérature sont deux médiums tellement différents ! Les images et les sons permettent de dire beaucoup de choses, sans avoir besoin de passer par des dialogues. C’est ça la puissance du cinéma. Christophe Dufossé à vu le film une fois terminé, il était très heureux d’avoir été trahit de cette manière la !
Dans l’un de vos entretiens vous avez dit que vous aimiez les DVD comme format, vous les avez également utilisés dans votre film. Que pensez-vous sur la place des DVD dans notre période digitalisée presque dans toutes les domaines ? En tant que collectionneurs de DVD, nous sommes curieux de la signification de ces boîtes en plastique pour vous.
Je suis effectivement un collectionneur compulsif de DVD… mais aussi de CD. Je n’ai jamais réussi à franchir le cap de la dématérialisation. J’aime être entouré de ces objets, j’aime voir de mon canapé les tranches des boitiers, je reconnais les titres, les typos de chaque affiche. C’est en regardant ma dvdthèque que des liens magiques entre des films se tissent, que les plans d’un film viennent se télescoper avec ceux d’un autre. Bien sûr, Internet permet de retrouver des pépites jamais éditées en DVD mais quand on me fait découvrir un film que je n’ai pas vu et qu’il a été téléchargé, je ne peux m’empêcher de le graver pour avoir un support physique. Bref, c’est sûrement excessif mais j’ai toujours eu un rapport fétichiste au cinéma.

Nous voyons le rôle du réchauffement planétaire dans votre film. C’est un problème, il va sans dire, ayant des conséquences immédiates et terribles. Vous avez préféré de l’utiliser comme un simple motif ou bien vous avez expressément voulu attirer l’attention sur ce problème ?
Ce n’est pas un simple motif, c’est la principale thématique du film ! Parce que ce sont des questions qui me taraudent, parce que c’est mon engagement. Et cette conscience écologique, les jeunes acteurs de mon film la partageaient avec moi. Pendant les castings, nous avons longuement échangé avec eux, je voulais qu’ils me parlent de la manière dont ils voyaient le monde, quelles étaient leurs peurs… J’ai été surpris de leur conscience écologique. La nouvelle génération est beaucoup plus concernée que la mienne, beaucoup plus engagée et consciente du danger qui nous menace. Nous le voyons chaque semaine à travers le monde lors des marches pour le climat. C’était à la fois effrayant pour moi car je me disais « mais quel monde on laisse à nos enfants !? » et en même temps, c’était presque rassurant de voir que cette génération prend ce combat à bras le corps. C’est le sens de l’avant dernier plan du film, quand adulte et jeunes parviennent enfin à être ensemble, à se prendre la main. A nous de faire que ce « vivre ensemble » et cet unisson n’arrive pas trop tard.

Nous n’exagérons pas, si nous disons que les caractères décrits dans le film ne sont pas des caractères avec qui nous pouvons, en tant que spectateurs, établir une relation empathique. Avez-vous fait des modérations sur les caractères ?
L’empathie n’est pas une question que je me pose quand j’écris. Ce que je veux c’est qu’à la fin du film, les spectateurs aient compris le parcours de chacun, sans avoir besoin de les aimer plus que ça. Avec les enfants et avec Laurent Lafitte, nous n’avons jamais cherché à les rendre sympathiques. Parce que ce sont des personnages solitaires qui ne font pas d’effort pour plaire aux autres, un peu hors du monde. C’est d’ailleurs ce trait de caractère commun qui permet leur rapprochement au cours du film. Pierre est le seul à s’intéresser à eux parce qu’il est sans doute un peu comme eux. Mon travail consiste à rendre ces personnages suffisamment intrigants et fascinants pour que les spectateurs aient envie de s’intéresser à eux. Je sais que l’empathie n’est pas un moteur du film et pourtant je sais que la plupart des spectateurs sont touchés à la fin, il y en a certains qui pleurent, car ils comprennent que la froideur des enfants était bel et bien une carapace et qu’ils étaient beaucoup plus sensibles qu’ils ne le laissaient paraître.
La chanson chantée en cœur dans le film, Free Money de Patti Smith, est-ce que c’est vous qui l’a choisie ou c’était l’idée de Zombie Zombie ? Si c’était vous, quel est le rôle, pour vous, de la chanson dans le film ? Pourriez-vous nous parler de votre relation avec la musique du film ?
Dès la mise en écriture du projet, j’ai dit aux Zombie Zombie que je voulais retravailler avec eux (nous avions déjà collaboré sur mon premier film) et dès la première version j’ai inventé le personnage de Catherine, la prof de musique, qui n’était pas dans le livre de Dufossé.

Je voulais qu’à l’intérieur de cette institution rigide et huppé, il y ait un électron libre, une figure presque punk. Catherine a vécu un drame dans sa vie et l’administration ne se permet plus de la remettre à sa place… elle a donc les mains libres. J’avais envie que cette femme revenue de tout, cette femme aux cheveux rouges, leur fasse chanter des chansons engagées, politiques et tout naturellement j’ai voulu que ce soit des hymnes contestataires chantés par une femme rockeuse, à savoir Patti Smith.

Pour moi c’était important qu’il y ait au moins un prof qui autorisent les enfants à vivre leurs émotions à travers une discipline artistique. J’en ai donc parlé aux Zombie et ils ont dû réarranger les chansons avant d’enregistrer la chorale car nous avions besoin de la musique sur le tournage. La chanson Free Money a évidemment un sens politique, je voulais qu’à notre échelle, ce soit notre « Another brick in the wall » !!! Le travail de la musique et la dimension sonore ont une place essentielle dans mes films. Elle ne raconte pas, elle provoque des sensations, elle participe à la force viscérale que je veux donner au film.
Dernièrement, avez-vous un nouveau projet de film dans la tête ou en production ?
Oui, j’ai un nouveau projet qui est en financement et en casting. Le tournage aura lieu cet hiver. Ce sera un nouveau thriller sur la famille, la place de la femme dans la famille et la fin du patriarcat.
Questions préparées par: Burcu Meltem Tohum et H. Necmi Öztürk