Bon d’abord, je suis obligé de dire mea culpa pour cette raison-ci : c’est la première fois que nous écrivons à propos d’une vidéo musicale, tout le monde parle de Anima, la vidéo de Thom Yorke diffusée sur Netflix, dirigée par Paul Thomas Anderson, mais nous choisissons d’écrire sur une autre contribution de Yorke, Rabbit In Your Headlights de UNKLE, qui date de l’an 1998. Alors, je m’excuse en avance. Mais la plus simple raison de ce choix est aussi, malheureusement la plus subjective : je n’ai pas pu m’identifier avec les images de Anima, ou bien disons que la vidéo musicale ne m’a pas beaucoup parlé. Désolé. La musique est superbe, mais c’est une autre affaire.

Alors revenons à nos moutons, qui sont éparpillés parmi mes souvenirs. Je pense que c’était aux alentours de l’an 2000 que j’avais vu Rabbit In Your Headlights à la télé pour la première fois. Quel bonheur ! J’étais énormément ému, je l’avais vue et revue une vingtaine de fois. Le réalisateur de la vidéo lauréate de plusieurs prix est Jonathan Glazer, le cinéaste prolifique, avec le magnifique Denis Lavant dans le rôle principal. A ce point-là, il faut bien sûr partager le lien de la vidéo en question, avant de donner des révélations sur la fin. Cliquez pour le lien YouTube.
J’espère que la fin de la vidéo vous a touché autant qu’elle me touche, j’ai des frissons chaque fois que je la regarde. On peut dire que la splendeur de la vidéo provient de la possibilité d’interprétations multiples. Les trois versions qui me viennent à l’esprit sont :

L’homme qui se fait heurter sans cesse par les voitures essaie de comprendre la logique du monde ou bien la mathématique du mouvement et enfin, quand il est complètement au courant de ce qui se passe autour de lui, quand il a déchiffré le code, il est donc en dessus de la vie, il n’est plus affecté par les menues lois du monde physique.

Si nous prenons le tunnel comme métaphore de la vie, on peut dire que l’homme fait des réflexions sur sa propre vie en essayant de trouver sa place dans ce chaos interminable. Et quand il la trouve, il est plus fort envers tout ce que la vie jette sur lui, il est intouchable.

Dès le début de la vie (le tunnel) l’homme est au courant de son pouvoir, il peut se protéger de tout ce qui arrive envers lui pendant la vie. Mais il choisit de ne pas utiliser ce pouvoir, il montre de l’amabilité envers les êtres humains qui le heurtent ; ils sont complètement ignorants, ils ne savent pas ce qu’ils font, dit-il. Mais il arrive à un point de sa vie où il ne peut plus y résister, il décide d’arrêter tout ce bordel insensé. Alors il sourit avec le savoir de ce qui va se passer et avec la jouissance de son pouvoir.

Les interprétations sont presqu’illimitées, avec les mots d’Umberto Eco, on peut dire qu’il y a autant de versions que de spectateurs d’une même œuvre. Cette vidéo musicale qui est beaucoup plus célèbre que la chanson dont elle est issue ; elle a reçu plusieurs prix, y inclus le Best International Video of The Year (1999), décerné par MVPA.

Denis Lavant, incarnant le rôle de l’homme qui marche dans le tunnel avec un parka sur le dos, citant des mots inintelligibles est formidable, Les seuls autres “acteurs” présents dans la vidéo sont les membres du duo UNKLE, assis dans une voiture qui se rapproche de Lavant pour lui poser quelques questions, laissées sans réponses. “Saint Christopher”, “sinner” (pécheur) et “Cristo” sont les seuls mots ou groupes de mots intelligibles, cités par Lavant.

Un autre point important de la vidéo se concrétise autour du terme de diégèse : dans la chanson, les paroles sont bien sûr diégétiques, ce qui veut dire qu’elles sont belles et bien audibles. Mais dans la vidéo musicale, ce sont les bruits du dehors (les voitures qui passent, Lavant qui tombe, etc.) qui sont diégétiques, donc les paroles et la musique ne sont pas au premier plan dans la vidéo, ce qui est un trait important pour valoriser la visualité, et non la musique. Ce choix de Glazer, novateur pour l’époque (1998), va être utilisé plusieurs fois dans les vidéos musicales à venir.

En fin de compte la vidéo musicale reste toujours un superbe délice, à voir et revoir à plusieurs reprises. La fin provoque à la fois un sens de révolte et une sensation de soulagement que procurerait une semaine de thérapie chez un psychanalyste accompli.