NEON DEMON ou le dualisme cartésien

Pour gâcher une image, faut-il la « rendre » encore plus visible ?  Avec Neon Demon (2016), Nicolas Windign-Refn nous montre les manières de rendre soi-même visible afin d’accéder à un désir obscur, ainsi que les conséquences de cette occupation infâme grâce au caractère de Jesse, campé par Elle Fanning. Les actions de « voir », « parler » et de « rire » en tant que mouvements dans l’espace, se définissent et se réalisent par leur absence.

Ainsi l’image dévoile ce qui est ténébreux et masqué, tout en créant une obscurité visible des limites intrinsèques. On peut dire que dans Neon Demon, chaque lutte qui se produit entre les ténèbres et les séquences du film est une référence corporelle, même charnelle en tant que res extensa. L’utilisation des couleurs bleu et rouge, ces deux rivaux de l’art de la peinture, accentue davantage les contours des images. Ce qui nous emmène à la notion de res cogitans ; substance non physique. Et comme la res cogitans ne possède pas une existence corporelle plus profonde que l’image, autrement dit la res extensa, elle ne peut se matérialiser en aucune forme.

Dans Neon Demon, chaque image réfère à elle-même ; donc toute image est sa propre réflexion. C’est la raison pour laquelle, dans la scène où Sarah (incarnée par Abbey Lee Kershaw), Jesse et les modèles attendent leur tour, aucun de ces corps illuminés par degrés, ne peut éclairer les ténèbres invisibles qui les couvrent. Au cours du défilé, bien que la marche sur le podium déclenche l’épuisement corporel et spirituel des modèles, Winding-Refn ne permet jamais à Jesse de se consumer en tant qu’image, en tant que res extensa.

Du point de vue sémiotique, le film offre une multitude de références à être analysées. Nous nous bornerons à donner seulement quelques exemples. Sur le plan figuratif, le récit filmique est assez franc à propos du message qu’il veut insinuer : Jesse est une proie parmi les prédateurs. Mais le film foisonne d’isotopies, également sur le plan thématique.

Les qualifications (rôles figuratifs et sèmes) attribuées à Jesse sont : « chevreuil aveuglé par l’éclat des phares », « fruit », « dessert » et produit ayant « une date d’expiration ». Toutes ces caractérisations définissent Jesse en tant que « nourriture » avec les sèmes /consommable/, /proie/, /matière/ et /produit/. En plus, il se trouve la scène où le photographe couvre Jesse de la peinture dorée comme s’il prépare un bestiau pour une sacrifice solennelle. Le regard structural affirme que tous ces traits aident à affermir la structure profonde du récit filmique.

Un autre motif, celui du triangle qui se montre au cours du film, est une interrogation sur trois plans. D’abord c’est une combinaison de sorte « in se », une interrogation stylistique. Deuxièmement, la notion impure est mise en question : « in alio ». Et dernièrement nous avons « logos », la raison. Winding-Refn projette les rayons provocateurs de ce triangle sur Jesse, Sarah et Gigi (Bella Heathcote) sans se retenir, et le spectateur est sujet à cette inquiétante étrangeté de l’anthropomorphisme qui accompagne le pathos incarné par les rayons en question. Le réalisateur, tout en matérialisant l’image à une manière tout à fait différente de celle de Deleuze, vénère la forme de l’image pour tisser une toile horrifiante de haute tension.

Burcu Meltem Tohum

N.B. Je tiens à remercier H. Necmi Öztürk pour son aide sur quelques points sémiotiques.

Bir Cevap Yazın